Des geeks éthiopiens veulent fabriquer les robots de demain

By: Emeline Wuilbercq (contributrice Le Monde Afrque, à Addis Abeba) En savoir plus sur

Photo Courtesy: Emeline Wuilbercq

Photo Courtesy: Emeline Wuilbercq

 

Le robot noir et blanc s’immobilise. Ses yeux, deux petites lumières rouges, s’allument. Il fait une rotation de 90°, reconnaît l’objet bleu à quelques centimètres de lui, s’avance et tape dans une balle en plastique. « Le robot est chinois, mais le processeur est “made in Ethiopia”, c’est un étudiant qui l’a mis au point, explique Getnet Aseffa. Dans quelques mois, nous allons organiser la première compétition nationale de football entre robots, dans la même veine que le tournoi international RoboCup ! »Bienvenue dans la salle des expériences d’iCog Labs au cœur du quartier universitaire d’Addis Abeba. Getnet Aseffa, 28 ans, en est l’un des cerveaux. En 2012, fraîchement diplômé en informatique, ce passionné de robotique, lecteur fervent du chantre de la singularité Raymond Kurzweil, a co-créé le premier laboratoire éthiopien de recherche et de développement en intelligence artificielle, avec l’aide du chercheur américain Ben Goertzel.

Des clients étrangers

« Nos programmeurs ont les mêmes compétences que les Chinois, les Américains et les Européens, assure M. Aseffa. La seule différence se trouve dans le fossé économique et les défis auxquels nous faisons face quotidiennement. » Parmi eux : le manque d’infrastructures, la connexion Internet erratique et les coupures fréquentes d’électricité. « Au début, les développeurs perdaient des centaines de lignes de code, poursuit-il. Maintenant, ils sauvegardent les données presque toutes les minutes. » Les serveurs du laboratoire se trouvent en Allemagne pour plus de sécurité.

iCog Labs travaille pour des clients étrangers comme la société américaine Hanson Robotics, créatrice du robot humanoïde baptisé Han, capable de reconnaître et d’imiter les expressions faciales des êtres humains. Les développeurs éthiopiens sont chargés d’améliorer des logiciels de reconnaissance d’images, d’émotions et de gestes humains et de classification d’objets divers pour perfectionner l’intelligence des robots. D’autres salariés du labo dressent une cartographie génétique des gènes humains liés au vieillissement pour tenter de percer les mystères de la longévité pour le compte de sociétés californiennes.

Un levier de développement

Getnet Aseffa est convaincu que les technologies de pointe peuvent être un levier de développement pour son pays. Mais quand il parle de hi-tech à son entourage, il doit faire face aux regards soupçonneux d’une communauté éthiopienne très traditionnelle qui s’interroge sur l’intérêt de développer des technologies du futur face à des problématiques plus urgentes, comme la lutte contre la pauvreté.« L’intelligence artificielle peut sembler loin des réalités africaines. Mais si vous l’utilisez dans le quotidien, elle peut améliorer les conditions de vie des êtres humains », assure M. Aseffa. Et de citer pêle-mêle les réseaux intelligents de distribution d’électricité, les logiciels pédagogiques, les diagnostics médicaux automatisés, l’analyse de données génétiques et la détection de maladies des cultures agricoles via des applications.« Nous sommes partisans du “bond technologique”, poursuit-il. Les Africains ont adopté le smartphone pour la connexion Internet sans avoir besoin d’ordinateurs. Nous pouvons brûler les étapes par lesquelles les pays développés sont passés. Sinon, quand les rattraperons-nous ? » Depuis trois ans, Getnet Aseffa organise des séminaires sur ces thèmes futuristes qui réunissent chaque fois plusieurs centaines d’étudiants, de professeurs et de curieux.

L’avatar d’un professeur éthiopien baptisé Madame Yanetu

L’expérience que Getnet Aseffa a acquise grâce aux échanges avec les pontes de l’intelligence artificielle lui donne des idées pour décliner ces compétences au niveau local. Depuis un an, iCog Labs mobilise sur fonds propres dix programmeurs pour travailler sur une application Android mettant en scène l’avatar d’un professeur éthiopien baptisé Madame Yanetu qui enseigne la lecture, l’écriture et les notions élémentaires de mathématiques. A terme, elle sera capable de reconnaître les émotions des élèves et de répondre à leurs questions. L’idée est de distribuer gratuitement des tablettes munies de cette application dans les zones rurales d’Ethiopie et d’Afrique subsaharienne qui souffrent encore d’un manque criant d’infrastructures et d’une pénurie de professeurs.

SC_1679

Pour cela, ils ont besoin de financements. Après trois ans d’activité, leur chiffre d’affaires s’élève à près de 140 000 euros par an. Pour le moment, le laboratoire iCog ne bénéficie d’aucune aide de l’Etat. L’Ethiopie a pourtant investi deux milliards de birrs, soit 87 millions d’euros, dans le parc technologique Ethio ICT Village et ne cache pas son ambition de devenir un centre d’excellence en recherche scientifique et technologique. Deux universités publiques sont entièrement consacrées à ces deux disciplines. Le gouvernement a même imposé des quotas : 70 % des étudiants éthiopiens doivent obligatoirement suivre un cursus en sciences dures. Certains d’entre eux feront peut-être partie de la première promotion du master d’intelligence artificielle qui doit ouvrir prochainement à l’université d’Addis Abeba.« Mon objectif est désormais de faire entrer la robotique à l’école élémentaire, s’enthousiasme Getnet Aseffa en tendant machinalement une balle en plastique au robot qui l’empoigne. Pour développer notre pays, il faut que les enfants apprennent les rudiments de la programmation dès le plus jeune âge… 

-From the editors of iCog-Labs.com
This Article was originally published on Le Monde 9, November, 2015

 

Leave a Reply

This site uses Akismet to reduce spam. Learn how your comment data is processed.

%d bloggers like this: